Des couleurs et un bâton, Les performances politiques par Matthieu Corradino
Normalement, les couleurs d’un drapeau ont une signification supra-individuelle : il faut « porter haut » les couleurs de son drapeau, au-dessus de sa tête, de son individualité et des élans égoïstes qui l’animent. En fait, le drapeau, tel que Chloé S. le conçoit dans la performance Des Couleurs et un Bâton est dépersonnalisant : il est celui de tous et de personne. Il s’imprime sur nos peaux – comme cet autocollant tricolore sur le poignet porte-drapeau que Chloé S. dénude pendant sa performance – et nous dissimule sous un vernis d’impersonnalité. Le drapeau est en vérité une marque de troupeau qui s’incorpore à nous et nous aliène. A l’analyse, il est essentiellement une bannière, un signe de reconnaissance d’hommes au combat. En témoigne sa composition, que Chloé S. détaille dans le tableau synoptique de la performance : un carré de tissu et un mât. Ce dernier est fortement mis en exergue dans le tableau, car il sert aussi de lance : il est une arme.
Par ailleurs, le drapeau est toujours accompagné du casque de guerre. Celui-ci cache les traits de nos visages. Dans sa performance Chloé S. pense à le figurer par un sac en plastique gris-vert – couleur neutre, la même pour tous – qu’elle met sur sa tête et qui n’épouse que très sommairement sa physionomie. Ce « casque » et la lance-drapeau qu’elle tient entre ses dents à la fin de la performance apparaissent comme des traits d’union qui nous rassemblent en gommant nos différences. Oui certes, le drapeau est un facteur d’union ; mais cela ne doit pas nous faire oublier qu’il est aussi la cause de profondes scissions entre groupes humains. Il y a dans ce rappel davantage une réflexion factuelle qu’une critique politique.